Aujourd’hui, un peu de vocabulaire !
Vous savez certainement toutes et toutes comment s’appelle cet objet ?
[un saute-ruisseau ! un suivez-moi jeune homme !]
Et bien, pas du tout !
J’étais étonnée par deux choses à propos de cet objet : du manque d’occurrence de ces vocables et du manque d’iconographie, le tout dans les sources d'époque.
Commençons par le premier point. Les avancées des technologies font que dorénavant, la recherche est OCRisée sur Gallica (c’est à dire que l’on peut faire une recherche d’un mot et la base de données fait la recherche du mot dans tous les documents numérisés de la Bibliothèque Nationale de France). Autant vous dire que cela peut produire beaucoup de résultats. Quant à notre « saute-ruisseau », rien, nada, nothing à propos de la mode…
Mais quel était donc mon étonnement. Tout simplement, parce que le « saute-ruisseau » fin XIXe a un tout autre sens. Je suis donc repartie sur le bon vieux Littré (dictionnaire de référence de la fin du XIXe) et on y apprend qu’un saute-ruisseau « (sô-te-rui-sô) s. m. [est un ] Petit clerc chargé des courses dans une étude. ». Donc rien à voir avec notre objet.
Le vrai saute-ruisseau du XIXe |
Vous allez me dire et le suivez-moi jeune homme ?
Pareil, le sens est autre. Il n’apparait pas dans le Littré mais j’ai trouvé différentes définitions : ce sont en fait deux pans de rubans trainant depuis la coiffure et formant coiffe.
Revenons à notre objet. Pour trouver la solution, j’ai écumé les sources et en particulier les catalogues de vente par correspondance, qui naissent à la fin du XIXe (ceux de le Bon Marché sont disponibles… sur Gallica, bien-sûr !). Et j’ai trouvé que tout simplement, cet objet se nomme… un relève-jupe, comme son nom anglais (skirt-lifter) ! J’ai toutefois trouvé la formule « page » mais qui semble n’avoir été utilisée qu’oralement.
Le Bon Marché, catalogue des étrennes de 1880 |
Maurice Leloir nous explique bien la définition :" Au XIXe siècle, on appela le relève-jupe une petite pince prenant à la ceinture et servant à retrousser les jupes alors qu'elles étaient longues. Cela n'était pas nouveau, car on avait déjà vu des relève-jupes au XVIe, sous Louis XIII et sous Louis XIV. Comme jadis on avait un laquais pour tenir la queue de sa robe, on donna à cet accessoire le nom de Page." (Dictionnaire du costume)
J’ai ensuite été intriguée par le fait que l’on en trouve beaucoup dans les brocantes mais que très peu sont représentés sur les images d'époque. Je me suis demandé pourquoi. En cherchant les occurrences sur Gallica, je me suis rendue compte de deux choses : c’est un accessoire du sport naissant pour retrousser le dos de sa jupe et donc sa traine (pour le golf, la randonnée, etc.), voire pour la citadine uniquement sur la robe de jour par temps de pluie; et que son utilisation semble surtout dater de la fin des années 1860 au début des années 1890, avec un pic à la fin des années 1870-début 1880. Ce qui est logique car c’est la mode des grandes traines, même pour les robes de jour. On retrouve quelques rares occurrences plus tardivement. D'ailleurs si vous faites la recherche de "skirt-lifter" sur Pinterest, vous trouverez surtout des images d'époque des années 1860-70 que 1900.
Donc pas ou très peu de relève-jupe en 1900, même pour les bals et en journée. Il existe d’ailleurs des « tuto » comme on dirait aujourd’hui pour savoir comment bien tenir sa jupe (on relève uniquement l’arrière quand on est une dame, et pas le devant comme on le voit souvent.). Je n'arrive plus à retrouver l'article que j'avais dû lire dans l'Illustration mais Lauren a publié un article sur son blog en anglais, paru dans The Delinator en 1908, même si la méthode n'est pas exactement la même...
De plus, le relève jupe se porte plutôt au dos et pas sur le côté. Si vous avez d’autres illustrations d'époque, je suis d’ailleurs preneuse. Les chroniqueuses de mode de la fin du XIXe ne semblent pas très enthousiasmées par ces relève-jupe car j'ai trouvé plusieurs mentions du fait qu'ils rendent la silhouette disgracieuse. Pour remplacer ce relève-jupe, les revues de mode évoquent plusieurs fois des agrafes cousues dans la jupe pour retrousser celle-ci, comme au XVIIIe siècle, formant ainsi un froufrou, beaucoup plus agréable à l’œil. Attention toutefois, l’ourlet retroussé doit arriver au sol.
Deux contre-exemples: des relève-jupe sur le côté (fin 1860 et fin 1870, on voit bien l’inutilité du 2e!) et pour le golf en 1894-96. (désolée pour la qualité!) |
On tient sa traine par le dos. C'est une amazone donc ça ne compte qu'à moitié, mais vous avez compris l'idée, La Mode Illustrée n° 32, 1902 |
Donc en résumé, le relève-jupe se porte surtout en 1870-1880 et plus tard pour faire des activités physiques et du sport.
Reste à savoir pourquoi il y a eu un glissement sémantique avec les reconstituteurs d'aujourd'hui!
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