dimanche 13 mars 2016

Essai de typologie des costumes de cour féminins au XVIIIe siècle

(Attention, article au kilomètre!)

Voici une petite fiche récapitulative de quelques types de robes de cour portés au XVIIIe. C'est bien entendu très réducteur puisque l'exercice du jeu était d'essayer de dégager de grandes lignes directrices pour essayer de s'y retrouver un peu...

Les chiffres renvoient aux illustrations plus bas.
Pays
Nom
Dates
Composition
Tissus
France
1.       Grand habit (de cour à la française)
Tout le XVIIIe siècle
Grand corps baleiné à épaulettes posées horizontalement sur l'épaule, jupe portée sur grands paniers (surtout dans les années 1740-60), queue (traîne), manches ornées de « petits bonhommes”. Le port du corset (de même coupe que le grand corps mais moins baleiné) est accepté lors des relevailles ou si la personne est plus faible physiquement, mais doit être porté avec une pèlerine.
Je pense me pencher sur les accessoires dans un article particulier.

Brocard, lamé d’or ou d’argent, velours orné de fourrure pour l’hiver, taffetas brodé d’or et d’argent.
Le grand habit porté lors de la présentation à la cour est noir orné d’or (dentelle, réseau, etc). Normalement, grand corps, jupe et queue sont de même étoffe et même couleur.  Dans les années 1780, les mariages sont autorisés, ainsi que les superpositions d’étoffes pour garnir la jupe et la queue.
Les décorations sont essentiellement des broderies et dentelles (métalliques ou pas), des joyaux.
Les grands ramages colorés et métalliques sont remplacés par des étoffes plus légères, unies ou à petites rayures et petits motifs sous le règne de Louis XVI.

France
2.       Robe à la Française
Acceptée à partir du dernier tiers du XVIIIe siècle (les années 1770)
Sur un corps baleiné et grands paniers. Très ornée (ont dit « parée » à l’époque), les plis du dos se font moins larges à partit des années 1780, les plis sur les hanches ne sont plus de grands plis plats mais des fronces.
Portée avec une pièce d'estomac épinglée sur le devant ou des compères (corsage boutonné ou épinglé directement devant).
Elle est très ornée, "parée".
Tissus plus légers que le brocard : satin de soie en particulier, pékin de soie façonné, gros, taffetas.
Malheureusement, ces tissus sont difficiles à trouver aujourd’hui ou très cher. Le satin peut très bien faire l’affaire.
Décors de dentelle, ruchés, broderies, gaze, blonde, paillettes et sequins. Beaucoup plus de « fanfreluches » dans la décoration à la fin du siècle.
Les couleurs ne sont pas obligatoirement les mêmes pour jupe et manteau.
Angleterre
       3.  Mantua
Tout le XVIIIe
La mantua dérive du manteau de robe né sous Louis XIV (également appelé mantua en anglais) : sur corps baleiné et grands paniers qui deviennent particulièrement importants dans les années 1740 et demeurent jusqu’à la fin du siècle. Ils ont une forme très carrée (beaucoup plus qu’en France). Le manteau de robe est d’un seul tenant et forme des plis au dos, qui sont cousus sur toute la hauteur du dos. Des petits retroussis sur les côté au dos (cf photos). Manches intégrées au manteau de robe avec manches en raquettes ou engageantes.
Pièce d’estomac rapportée épinglée sur le corps baleiné.

Brocard, lamé d’or ou d’argent, velours orné de fourrure pour l’hiver, taffetas brodé d’or et d’argent. La fin du siècle privilégie également des étoffes un peu moins lourdes que les brocards (satins, taffetas).
Manteau et jupe sont de même étoffe.
Russie
4.       Robe de cour russe
1780-1800
Corps baleiné ou corset, paniers/cul, jupe et manteau de robe « à la turque » (c’est-à-dire d’un seul tenant des épaules au bas de l’ourlet, sans couture à la taille et dont le devant est coupé en biais) à petites manches (mancherons) laissant passer les manches longues de la soubreveste, des bretelles partant du dos des épaules se croisent et se nouent devant en ceinture. Motifs du manteau souvent rayés et ornés de franges.
Toute étoffe de soie (satin, velours, façonné), les lamés d’or ou d’argent.
Le motif rayé est particulièrement apprécié.
Décoration de franges très fréquentes (au bord des mancherons et sur la coupe en biais du manteau). Décoration de dentelle à l’encolure et au bout des manches.
Le manteau peut être dans une étoffe différente du grand corps et de la jupe.
Suède
5.       Costume de cour suédois
1778- elle est encore portée au XXe siècle, mais la forme a été adapatée
L’idée était d’adapter un costume plus adapté au climat. L’inspiration se veut Renaissance française, de l’époque d’Henri IV (n’oublions pas que Louis XVI était comparé au nouvel Henri IV lors de son couronnement et que l’époque était très à la mode).
La coupe s’apparente à une robe à la polonaise.
Pour avoir plus de détails, je vous conseille d’aller voir le blog d’Elisa Isis’s wardrobe
Le blog de Caroline Anno 1776
Des images ici

Les tissus utilisés semblent avoir été fait de satin de soie, de façonnés, de taffetas. Le noir était utilisé pour les événements quotidien, sorte de « petit habit de cour », associé avec une autre couleur en fonction de la personne à laquelle était attachée la femme qui portait la tenue (rouge pour le roi, bleu pour la reine, jaune pour la douairière, il semble également que le rose se portrait).
A l’origine la version de gala était rouge vif avec les accessoires blancs mais au final, elle devint blanche avec décors bleus ciel (et l’inverse pour les hommes !). Il n’existe pas de témoignage visuel de cette version (peinture, robe).
Il existe une troisième version pour la campagne jaune avec décors bleus.
Théoriquement, il semble que toutes les couleurs étaient permises mais seules de versions noires, bleues et grises sont attestés.


Les illustrations (cliquez dessus pour agrandir!)
1. Le grand habit à la française:


Années 1730, Stiemart, La Reine Marie Leczinska; 1751, Nattier, Marie Josèphe de Saxe, dauphine de France; 1758, Nattier, Madame Adélaïde tenant une partition; Années 1760 Meytens, Marie Amélie de Habsbourg Lorraine.

Des brocards colorés, réhaussés d'or et d'argent, les paniers s'élargissent dans les années 1740 (je vais y revenir dans un article spécial), les têtes sont petites et poudrées, décorées de brillants, perles, fleurs et aigrettes. Les devants de corsage sont décorés de broderies ou de bijoux (devants de corsage).


Garde robe de la reine Marie Leczinska, printemps 1735.

Garde robe de la reine Marie Leczinska, 1736

Garde robe de la reine Marie Leczinska, 1736

1770 Ducreux, La dauphine Marie Antoinette; 1775, Dagoty, La Reine Marie Antoinette; 1775, Drouais, la comtesse d'Artois; années 1770, la Reine Marie Antoinette
Dans les années 1770, la coiffure monte en hauteur, les décorations deviennent plus nombreuses mais en même temps de matières plus légères (gaze, mousseline, etc.). Les paniers restent extrêmement larges. Les coiffures sont ornées de hautes plumes d'autruche.


Années 1780: la reine Marie Antoinette, Maria Amalia de Habsbourg Lorraine, Frédérique Sophie de Prusse, Marie Antoinette.

Charles-Germain de Saint-Aubin, dame en robe de cour de présentation, avec panier garnie en échelle de Jacob. ©Photo Les Arts Décoratifs, Paris Tous droits réservés


Les robes restent grosso-modo les mêmes, les coiffures s'abaissent.

Echantillon de broderie de grand habit, vers 1780, Victoria & Albert Museum, 

1782 Gazette des Atours de Marie Antoinette: les échantillons pour grands habits

1784 Gazette des Atours de Marie Antoinette: les échantillons pour grands habits

1792 Gazette des Atours de Madame Elisabeth: les échantillons pour grands habits
1792 Gazette des Atours de Madame Elisabeth: les échantillons pour grands habits


2. La robe à la française parée ou de cour (les illustrations suivantes ne présentent que des robes portées en France)

1783 La Gallerie des Modes: deux robes à la françaises portées à la cour pendant le voyage de Fontainebleau
Charles-Germain de Saint-Aubin: dame en habit de cour 1785. ©Photo Les Arts Décoratifs, on dirait un peu ma robe parée, non?
 Deux portraits de Madame Adélaïde (par Labille Guiard en 1787 et Hensius en 1788)

Robe de cour à la française, 1778, Les Arts décoratifs (bientôt  à l'exposition Fashion Forward)

Robe à la française parée, le torse est bizarrement mannequinné mais notez les très petits plis du dos. Années 1780.

1780, deux robes de cour à la française très similaires (Kyoto costume Institute à gauche et musée Galliera à droite, elle est en satin de soie cerise).
Pour les motifs des tissus, je vous renvoie à l'article de Temps d'Elégance sur le choix des tissus par décennie.

3. Les mantuas, robes de cour au Royaume Uni.


Date de tissage: 1734-35 (Spitafields, Angleterre), date de confection: 1735-40, soie brochée, Victoria and Albert Museum. Mantua portée sur paniers ronds. La photo de droite montre que la robe ne devait pas être doublée et la façon dont est formée des "petites ailes" qui forment la queue (traîne).


1740-45, soie brodée de fils colorés et métalliques, Victoria and Albert Museum.La queue du manteau est ici très étroite. Les paniers sont devenus très larges et rectilignes.



1751-53, mantua portée par Ann Fanshawe, la fille de Crisp
Gascoyne qui devint Lord Mayor de la ville de Londres en  1753. Museum of London.

1753-55 (tissage), 1755-60 ( confection), mantua en soie tissée de fils métalliques. Victoria and Albert Museum.


1748-50 (tissage), 1760-70 (confection), mantua de soie brochée décorée de "sourcils de hannetons". Sa forme est typique des années 1760. Victoria and Albert Museum.

4. Robe de cour russe 1780-90
Début des années 1790, les filles du tsarévitch Paul Pétrovitch.

Milieu des années 1790, les grandes duchesses Alexandra et Eléna Pavlovna.
Si vous voulez plus d'informations, je vous renvoie vers l'article que j'ai écrit sur Temps d'Elégance.

5. Le costume national suédois

Robe nationale de cour suédoise, porté le 1er janvier 1780 par Sofia Lovisa Brüch (d'après ce que j'ai compris!), Nordiska Museet.

Gravures de costume national suédois de 1778 par Jacob Gillberg. Nordiska Museet.


Voilà, ce n'est qu'un survol très rapide, bien évidemment à nuancer et à approfondir. J'espère qu'il vous donnera quelques clefs visuelles pour aborder plus facilement de costume de cour féminin du XVIIIe siècle.

Bibliographie supplémentaire:
Fastes de cour et cérémonies royales, catalogue d'exposition, éditions RMN, 2009
Se vêtir à la cour en Europe, actes du colloque, 2011. Disponible ici gratuitement.
Pour paraître à la cour : les habits de Marie-Fortunée d’Este, princesse de Conti (1731-1803)  par Aurélie Chatenet-Calyste

N'hésitez pas à commenter et à partager, en citant l'origine de l'article. :-)

4 commentaires:

Unknown a dit…

Merci.

Unknown a dit…

Bonjour, vos iconographies sont super et je vous remercie pour les précisions sur les textiles employés cela est très utile. Seulement je n'arrive pas à bien distinguer la différence entre les robes à la françaises et les mantua, pouvez-vous m'en dire plus sur ce qui les différencie?
Merci d'avance :)

Mlle Canadienne a dit…

Bonjour!
Je suis curieuse de connaitre votre source en ce qui a trait à la nomenclature des manches des robes de cour ''en petits bonhommes''.
Merci et continuez votre travail de diffusion des connaissances!

Élisabeth a dit…

Bonjour à tous
Désolée des réponses tardives: j'avais un peu laissé de côté ce blog pour plusieurs raisons personnelles.

Alors, la robe à la française et la "mantua" anglaise sont des cousines. Il est vrai qu'elles sont toutes les deux constituées d'un manteau de robe mais le diable est dans les détails: regardez bien les manches et le dos.

Mlle Canadienne: je ne pourrais pas citer de source il est vrai! Une recherche systématique serait à faire. Je crois que c'est une appellation qui au minimum vient de Leloir, il faudrait que je regarde si je trouve une source plus ancienne pour cette façon de disposer la dentelle. Merci pour les encouragements et félicitations pour votre propre blog!