Je poursuis mon exploration des fards anciens avec la matière colorante en rouge. Voici une synthèse des livres de recettes d'époque que j'ai lus, ainsi que du très bon ouvrage de Catherine Lanoë, La Poudre et le fard.
- Mes sources (toutes consultables en ligne):
Bourgeois, Louise. Recueil des secrets... auquel sont contenues ses plus rares experiences pour diverses maladies, principalement des femmes, avec leurs embellissemens Paris : Jean Dehoury, 1653.
Blégny, Nicolas de. Secrets concernant la beauté et la santé. Paris : Laurent d'Houry et Veuve de Denis Nion, 1688. Tome 1 et Tome 2 (1689)
Buc'hoz, Pierre-Joseph. Toilette de flore ou essai sur les plantes et les fleurs qui peuvent servir d'ornement aux dames -- contenant les différentes manières de préparer les Essences, Pommades, Rouges, Poudres, Fards et Eaux de Senteurs auquel on a ajouté différentes Recettes, pour enlever toutes sortes de Taches sur le linge, Paris : Valade, 1771.
Fargeon , D. J.. L'Art du parfumeur, ou Traité complet de la préparation des parfums, cosmétiques, pommades, pastilles, odeurs, huiles antiques, essences, bains aromatiques et des gants de senteur, etc. Contenant plusieurs secrets nouveaux pour embellir et conserver le teint des dames, effacer les taches et les rides du visage et teindre les cheveux. Ouvrage faisant suite à la Chimie du goût et de l'odorat Paris : Delalain fils, 1801.
Caron, Auguste. Toilette des dames, ou Encyclopédie de la beauté; contenant des réflexions sur la nature de la beauté ; sur les causes physiques et morales qui l'altèrent ; sur les moyens de la conserver jusqu'à un âge avancé ; sur ce qui la constitue chez nous, et sur les soins à donner à chaque partie du corps un aperçu historique des modes françaises, et des conseils sur la toilette Paris : Debray, 1806.
A noter que Fargeon a été le parfumeur de Marie Antoinette.
Il est très intéressant de remarquer pour débuter la permanence des recettes des rouges à travers ces recueils. J'en ai compté sept dont certaines avec des différences très minimes.
- Les formes:
Le rouge, qui sert à la fois pour les joues et éventuellement les lèvres, peut prendre plusieurs formes: grasse avec les pommades (en baume comme on dirait aujourd'hui), en poudre, liquide (souvent astringent) ou sous forme de crépons ou ruban que l'on trempait dans de l'eau de vie ou du vinaigre pour dissoudre la teinture que l'on frottait ensuite sur les joues.
Les recettes évoquent d'ailleurs plutôt des rouges à teinter les joues que les lèvres. Les recettes explicites de rouge sont directement liées aux joues. Les pommades pour les lèvres sont beaucoup plus rarement teintées de rouge. D'ailleurs, les pommades sont de façon générale "bonnes à tout faire": lèvres, mains, tétons, dartres, en résumé, toute zone sèche!
Jean Basptiste Greuze, Portrait de Madame de Courcelles à sa toilette, 1765. Détail du pot de rouge. |
John Raphael Smith, Jeune femme s'appliquant du rouge, 1783, Brittish Museum, détail. |
Boucher, Madame de Pompadour s'appliquant du rouge, Fogg art museum |
- La technique:
Il existe plusieurs façons d'extraire la matière colorante. Souvent, les préparations sont filtrées, mais parfois, la matière tinctoriale reste dans le produit fini. D'après mes lectures, les préparations filtrées sont celles à base d'orcanette, tandis que les préparations qui ne le sont pas sont à base de bois de santal rouge ou du Brésil.
- Les ingrédients rouges:
Devant la poussée des hygiénistes et de certains médecins, les rouges à base de minéraux tendent à disparaître sur la fin du XVIIIe siècle. Chaque fabricant-vendeur doit pouvoir justifier de l’innocuité de ses produits, et en particulier du fait qu'il ne contient pas de minéraux. Si le cinabre, le plomb et le mercure (pour produire les blancs) sont effectivement dangereux, tous les minéraux n'étaient pas forcément toxiques (mica, oxydes et ocres). Toutefois, ils ne semblaient pas être utilisés pour obtenir des rouges au XVIIIe. La volonté de limiter les effets dangereux est toutefois très intéressante car dans mes recherches, je me suis rendue compte que l'orcanette était très utilisée au XVIIIe siècle, et également aujourd'hui dans les produits de maquillage biologiques américains, alors que pas du tout en France. En fait, l'orcanette est inscrite sur la liste II de la pharmacopée Française, c'est à dire que ces désavantages sont plus importants que ses bénéfices. Cependant, c'est à nuancer car il s'agit de cas d'ingestion et pas d'application sur la peau. Le Laboratoire Nuxe a d'ailleurs breveté il n'y a pas longtemps des crèmes de beauté à l'orcanette!
Il est intéressant de noter que dans les manuels de recette, la couleur rouge rouge est obtenue à partir d'un petit nombre seulement de matières tinctoriale. On retrouve:
- Les végétaux: l’écorce de racine d'orcanette (alkanna tinctoria), le raisin noir, la poudre de bois de Santal (qui sent très bon!), la poudre de bois du Brésil (dit pernambouc)
- Les animaux: le carmin (issu de la cochenille, petit insecte parasite)
L'orcanette, jolie fleur bleue qui donne du rouge (enfin, sa racine!); le bois du Brésil sec et en tronc; une cochenille écrasée sur un doigt(!), du bois de Santal. |
Ne semblaient pas utilisés des rouges par ailleurs connus et usités pour d'autres produits (la garance notamment) D'autres éléments assez évidents comme le coquelicot, la betterave, le chou rouge, les fruits rouges ne semblent pas avoir été utilisés, mais rien ne nous dit que les femmes ne les utilisaient pas avec des recettes "minutes" maison!
Je ne sais pas si cela était par défaut technique (impossibilité d'extrait le rouge).
Les teintes obtenues vont du rouge violine, au rouge vif et au rose, voire oranger pour le bois de Santal (mais rarement utilisé seul dans les recettes). Les matières (enfin, celles que j'ai obtenues!) sont rarement très opaques comme peuvent l'être un rouge à lèvres aujourd'hui, en particulier pour les versions grasses. Les versions liquides astringentes ou à base d’alcool, même transparentes ont, par contre, un très fort pouvoir tinctorial. Je vous laisse jeter un coup d'oeil à mes essais sur le rouge Turc.
A droite, mon essai de "rouge imitant parfaitement la nature", qui se fond sur la carnation des personnes. C'est également celui que je portais à Champs sur Marne et Sèvres. |
Enfin, je n'ai pas encore évoqué le rouge en poudre dont parle Caron: à base de cochenille et talc, il le décline en 10 tons, du plus clair au plus foncé, afin de s'adapter aux carnations de ses clientes, mais également de la lumière du jour et de la période de la journée. En ce qui me concerne, j'ai obtenu plutôt un parme très clair, rosé plutôt qu'un rose franc. Peut-être est-ce dû à mon broyage ou à mes cochenilles (qui ont portant bien donné du rouge avec d'autres recettes).
Sachez également que si vous souhaitez réaliser ces recettes à la maison, la cochenille est déconseillée en application directe sur la peau (elle risque de causer de fortes irritations et des allergies). En ce qui me concerne, c'était juste à titre expérimental!
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